Sans intention, pas d’émotion
J’ai lu récemment un article écrit par le photographe Alfredo Mora (Denver, Colorado), qui expliquait qu’il exposait pour les yeux: il expliquait qu’il ne photographiait que ce qui capturait son regard. Cela m’a paru au départ simpliste parce que je me suis dit que je ne photographiais jamais un sujet qui ne m’avait pas attiré d’abord: « je photographie ce que je vois ». Mais derrière cette sentence, il voulait expliquer qu’il exposait sa pellicule uniquement lorsque ses yeux avaient assemblés tous les éléments du puzzle. C’est vrai tout ce que je vois n’est pas forcément toujours bon à photographier.
Il y a plusieurs raisons à cela. La première est souvent la frustration. Je me suis parfois retrouvé lors d’une sortie photo, où après plusieurs heures sans avoir trouvé une seule image, j’ai l’impression que tout ce que je vois mérite une photographie. Alors je shoote frénétiquement en espérant que le banal devienne génial. Comme un pécheur qui ne veut pas rentrer bredouille, le fait de ne pas accepter de rentrer à la maison sans image m’amène à prendre des images sans sujet.
La seconde raison pour laquelle une image n’est pas bonne à prendre c’est tout simplement la lumière. C’est l’élément clef d’une image et si votre sujet n’est pas mis en valeur par une belle lumière, alors l’image restera sans saveur, comme un plat sans sauce. Avoir la patience d’attendre que la lumière sublime votre sujet: une minute, une heure, une semaine, une saison qu’importe, mais utiliser vos yeux pour estimer le bon moment et attendre.
Le troisième élément qui fait une bonne image c’est l’histoire et l’émotion. L’intention du photographe est tout ce qui donne un sens à l’image. Sans cette intention, alors l’image reste plate, banale. Si je déclenche sans intention, le manque d’émotion que je ressens se traduit dans la photographie et le lecteur éprouvera aussi le manque de ressenti.
Photographier tout ce que je vois conduit à des images fades et décevantes. Des images qui terminent oubliées sur le disque dur, ou qui vont dans la poubelle.
En fait, la différence entre une image banale et une image intéressante commence par la façon dont le photographe regarde le sujet. Je parle souvent dans mes vidéos de ne pas sortir l’appareil du sac aussitôt arrivé . Parce que la première chose que nous voyons c’est le sujet, mais l’histoire qui l’entoure demande plus de temps pour la découvrir. Je ne photographie pas ce que je vois, mais ce que j’ai observé et analysé. Une fois le sujet trouvé, c’est le jeu des 7 erreurs qui commence. Qu’elles sont les éléments qui servent mon sujet, ceux qui rentrent en concurrence avec. Une image avec deux sujets forts, c’est à coup sûr une ambiguïté pour celui qui regarde l’image. Ce qui n’est pas dans le cadre est tout aussi important que ce qui l’est. Où le photographe veut que je regarde? Dans toute démarche photographique, il est important de scruter chaque élément d’une scène et de les agencer ensemble pour faire ressentir ce que j’ai ressenti. J’avais récemment écrit sur ce sujet où je vous expliquait que votre image préférée n’est pas forcément celle de votre entourage: vous gardez à l’esprit ce que vous avez ressenti le jour où vous avez déclenché, pas votre lecteur. L’image est parfaite si vous avez réussi à aussi transmettre ce sentiment.
Donc oui j’expose pour mes yeux: c’est parce que j’ai vu, observer, analyser, assembler et composer que je photographie. Finalement, il ne fait pas forcer une image. Posez votre sac, asseyez-vous et observez et l’image viendra à vous. Alors seulement à ce moment vous photographierez, pour le plaisir de vos yeux.